Les enjeux d'une réduction des espaces d'habitation: considération de l'habiter en maison individuelle

Nom: 
ROUSSEAUX-PERIN
Prénom: 
Romain
Type de soutenance: 
Doctorale
Directeur(s) de thèse: 
Jean-Marc STEBE
Date de soutenance: 
31/12/18
Résumé: 

 L’habitat individuel est souvent considéré comme une des causes majeures de l’étalement urbain. Consommateur d’espace, vecteur de l’artificialisation des sols, le pavillon ne cesse d’investir des espaces naturels et cultivés, voués à une disparition presque irréversible, fragilisant ainsi l’équilibre de nos paysages. Dès les années 1960, la démocratisation de la voiture accélère l’étalement urbain. Dans les banlieues et les espaces périurbains, la multiplication des lotissements d’habitation et des zones commerciales et industrielles encourage l’utilisation des véhicules motorisés desquels les individus sont devenus dépendants. Progressivement, cet éloignement des centralités historiques, recherché d’abord comme un retour à la nature, se conjugue avec une volonté de s’éloigner des grands ensembles. La maison individuelle avec son jardin attenant devient un rêve commun à toute une population en quête d’un habitat idéal. Ce modèle se développe très rapidement. Pour autant, les aménités restent quasiment absentes du périurbain et de ses lotissements pavillonnaires. Aujourd’hui, les ménages installés souffrent d’un éloignement de plus en plus prononcé de la centralité, et d’un allongement du temps des trajets entre les lieux attractifs et le domicile (Le Breton, 2008). La centralité est devenue un luxe : plus nos maisons sont loin du centre-ville, moins elles sont chères. Parallèlement, le foncier disponible se raréfie autour de la centralité. Ainsi, la maison de banlieue devient au fil des années et des décennies la maison périurbaine éloignée. Même si les nouvelles politiques d’aménagement cherchent à inverser ces perspectives en privilégiant la densification par le logement collectif, la prolifération incessante de lotissements pavillonnaires contredit la tendance. Plus la ville se peuple, plus elle s’étale et moins elle se densifie.En 2010, l’institut français de l’environnement estimait à 600 kilomètres carrés les surfaces artificialisées en France chaque année. Il s’interroge : « Comment inventer la ville de demain, qui sera tout à la fois sobre en consommation d’énergie, économe en consommation d’espace, mais aussi respectueuse des aspirations de ses habitants et garante des cultures et civilisations qui l’ont fait naître ? ».Si la construction de logements collectifs a significativement augmenté ces dernières années, selon les sondages de l’INSEE, cela va précisément à l’encontre de la demande des Français qui continuent de favoriser le schème de l’habitat individuel (Raymond, 1966), héritage du modèle politique de la « France des propriétaires » des cinquante dernières années. Porteuse de sens, la maison intègre les constantes et variables des multiples cultures de l’habiter dont elle permet la cohabitation. L’image de la maison reste attachée à un idéal de vie ancré dans le parcours résidentiel, et ce malgré son appauvrissement architectural dû notamment aux effets négatifs de l’industrialisation de la construction. Les pavillons standardisés créent un paysage monotone, dénué de tout référent culturel qui fabriquait jusqu’alors l’identité de nos régions, et participait même à l’expression de notre propre identité. Il reste qu’en construisant sa maison et/ou en se l’appropriant, on a volonté de faire oeuvre (Tapie, 2005), et de montrer sa personnalité au monde. C’est l’essence même de l’habitat, qui est un prolongement de soi. Si les Français aspirent toujours autant à la maison individuelle, c’est sans doute parce qu’elle permet cela, ainsi qu’une plus large appropriation que les logements collectifs, qui ne tendent à être que des lieux temporaires dans le cours de nos vies. Le chez-soi des individus — tel que le définit Bernard Salignon (2010) — n’a plus l’opportunité de s’exprimer. C’est généralement à travers cette stérilisation des espaces liée aux restrictions opérées par les règlements de copropriété, que l’habitat peine à se réinventer et produit une architecture mondialisée qui uniformise nos milieux d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre.Nous assistons depuis quelques années à l’émergence du partage et de la location de biens. Les modes de consommation passent progressivement de la propriété à l’échange, ce qui figure une société en mutation, tant socialement qu’économiquement. Les modèles connus jusqu’alors disparaissent peu à peu. La récente prise de conscience des enjeux environnementaux nationaux et mondiaux provoque des engagements inédits au profit d’une cohérence territoriale plus forte. Nos modes de transport s’adaptent à une mobilité qui ne cède plus à l’individualisme. Nos manières d’habiter et d’occuper les espaces changent également. Pourtant, l’habitat ne change que très peu dans sa manière d’être conçue, dans les réponses qu’il apporte aux nouveaux modes de vie. Observée ces dernières années, l’explosion de la famille mononucléaire entraîne des bouleversements sociaux qui affectent directement l’habitat. Selon l’INSEE, nous étions 2,7 habitants par foyer en 1984. Nous ne serons plus que 2,1 en 2030. Paradoxalement, les maisons individuelles construites aujourd’hui ne cessent d’augmenter leur surface habitable. Toujours selon l’INSEE, nous vivions dans des logements individuels ayant une surface moyenne de 82 m2 en 1984. Aujourd’hui, la surface moyenne d’une maison individuelle est de 111 m2 ! Au fur et à mesure que la famille diminue, l’espace à habiter ne cesse de croître. Il n’en va pas de même pour les logements collectifs dont les surfaces habitables ne cessent de diminuer, mais cela participe à l’accentuation d’une promiscuité qui participe déjà à l’avènement de l’habitat individuel.En France, l’habitat individuel est culturel. Depuis les années 1950, les différentes enquêtes montrent que plus de 80% de la population française souhaite vivre en maison individuelle. Parallèlement, cette population souhaite retrouver une centralité aujourd’hui perdue, et retisser des liens avec les villes dont elle s’éloigne. Dès lors, deux questions centrales se posent : à l’aube des nouvelles préoccupations environnementales, économiques, sociales et sociétales, la maison individuelle peut-elle être un modèle soutenable pour la ville durable ? Comment faire renouer les habitants au « droit à la ville » cher à Henri Lefebvre (1968), tout en tenant compte de leurs aspirations ?À travers cette thèse, nous proposons d’aller à l’encontre des idées reçues, en installant comme principe que la maison individuelle peut être effectivement un modèle soutenable pour la ville durable. Si B.I.M.B.Y. s’emploie déjà à engager la densification des tissus pavillonnaires, nous irons plus loin dans notre étude. En considérant une réduction significative des surfaces habitables de la maison individuelle, il est possible d’envisager la réinsertion de l’habitat individuel dans les interstices laissés libres dans la ville. En effet, il semble exister de nombreuses parcelles constructibles au coeur même des villes. Des terrains sur lesquels nous ne pouvons imaginer des logements collectifs du fait de leur exiguïté, de leur forme contraignante. Autant d’espaces qui pourraient accueillir de petites maisons, permettant ainsi d’abriter des habitants renouant à la fois avec le désir de la propriété individuelle, et celui d’habiter en ville. En cela, la culture japonaise est extrêmement riche d’enseignements sur l’art d’habiter les petits espaces en ville. Pour des raisons géographiques et topographiques, ils ont su tirer le meilleur parti de leurs espaces d’habitation très restreints, en les optimisant au maximum, occasionnant d’heureuses manières de vivre et de profiter de l’espace. La Layer House de l’architecte Hiroaki Ohtani est d’ailleurs intéressante à plusieurs égards. Accueillant un couple avec un enfant, elle réussit à allier confort de vie, respect de l’intimité, et jardin, sur un terrain d’une superficie de 30m2. De nombreux autres exemples existent. C’est pourquoi l’analyse et la compréhension de la culture de l’habiter nippone permettra d’appuyer notre démonstration, et de comprendre les processus qui se développent au Japon.Questionner les petits espaces d’habitation implique nécessairement de s’interroger sur l’habiter en maison aujourd’hui, et nos manières de concevoir l’habitat : Sommes-nous capables de concevoir de tels espaces ? La culture de l’habiter française peut-elle s’en accommoder ? Est-ce compatible avec les évolutions des pratiques de l’espace ? Ces interrogations rejoignent finalement une problématique commune, fil conducteur des travaux de recherche : Comment parvenir à remettre en cause nos pratiques, nos comportements, nos façons de vivre, pour savoir occuper un petit espace ? Il s’agit ici de mener une thèse socio-anthropologique, dans un contexte d’extrême tension entre le respect des aspirations de chacun et la volonté de développer le modèle de la ville durable. Nous ouvrons un champ d’étude jusqu’alors inexploré.L’objectif de cette étude sera donc de comprendre les interactions humaines vis-à-vis de l’hypothèse d’une architecture de petites maisons individuelles en ville, et d’interroger les pratiques architecturales et urbanistiques pour la conception de tels espaces. Cela passera par une analyse de la manière d’habiter en maison individuelle aujourd’hui et par une définition des différences fondamentales de l’habiter entre l’individuel et le collectif. Il s’agira par ailleurs de remettre en question les manières d’habiter et de concevoir les maisons individuelles : dans ses dimensionnements, dans sa contextualisation, dans ses perceptions, dans son coût, dans ses impacts sur son milieu, dans ses atouts sociaux, etc., le but étant de rendre possible le développement de nouvelles pratiques de l’espace à travers la question des petits espaces d’habitation individuelle.Trois grandes phases rigoureusement organisées rythmeront cette recherche : tout d’abord, la première phase s’attachera à l’analyse de l’habiter en maison individuelle aujourd’hui. Deux enquêtes alimenteront cette phase : la réalisation d’une enquête quantitative par un questionnaire auprès de 1000 personnes, futurs propriétaires ou déjà propriétaires (à définir) ; des entretiens semi-directifs auprès d’habitants, de décideurs politiques, de concepteurs de maisons, d’aménageurs, etc. qui se concluront par une analyse du discours. Cette phase introduira la question de l’habiter dans de petites maisons individuelles et s’enrichira d’études de cas existants sur le territoire français.La deuxième phase sera entièrement consacrée à l’étude de l’habitat et des tissus urbains nippons. Sous la forme d’un voyage d’étude de plusieurs mois dans deux villes japonaises (à définir), nous mènerons un travail d’observation sur leur culture de l’habiter, de la tradition à la modernité, pour en comprendre ses permanences et ses évolutions. De même que pour la première phase, cette deuxième partie se complètera, dans la mesure du possible, de visites de petites maisons, remarquables vis-à-vis de notre sujet d’étude.Enfin, dans une troisième phase, nous proposerons une monographie d’une ou deux centralité(s) urbaine(s) de villes françaises (à définir) avec une observation des espaces interstitiels pouvant accueillir de petites maisons individuelles. Cette phase aura pour but d’intégrer les observations de l’étude dans un cas concret, pour affirmer la cohérence des préceptes évoqués.L’analyse des différents matériaux recueillis se fera dans une orientation socio-ethnographique et anthropologique. Nous essayerons ainsi de définir des typologies d’habitants souhaitant résider en ville, dans la centralité urbaine, tout en essayant de savoir si les individus souhaiteraient résider dans une petite maison en ville. Il s’agira également de savoir si ces individus accepteraient de réduire leur surface habitable. Nous listerons par ailleurs les raisons du refus d’habiter en ville. Parallèlement, nous dresserons la liste des arguments fournis par les individus qui souhaitent résider dans la centralité. Aussi, nous comparerons les deux cultures, françaises et japonaises, et notamment les arguments utilisés par les habitants et les façons de faire dans la maison, autrement dit les façons d’habiter.Nous comprenons ici tout l’enjeu d’une telle étude, qui ne trouve par ailleurs aucun précédent. À une époque où la surface des logements collectifs diminue de plus en plus, où l’habitat individuel continue de s’éloigner des villes, la question des petits espaces est pertinente pour concilier un respect des valeurs collectives culturelles, et les impératifs de la ville durable.

Date début de thèse: 
11/15